Cadre scientifique

Le GDR est structuré en 5 axes thématiques, chacun animé par deux (enseignant·e·s) chercheur·e·s. Ces axes sont résumés dans les paragraphes ci-dessous, ainsi que dans le diaporama de présentation issu de la première réunion annuelle du GDR (en novembre 2019).

1 – Mécanismes moléculaires et cellulaires de la plasticité phénotypique
Jean-Michel Gibert et Christian Braendle

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Comprendre les mécanismes moléculaires et développementaux médiant la plasticité phénotypique représente un objectif fondamental de la recherche biologique actuelle. Tout particulièrement, ce sera une tâche majeure d’identifier les gènes et les réseaux génétiques régulant les traits plastiques et d’analyser comment ils sont modulés par les variations de l’environnement, ainsi que par la sélection qui mène à l’évolution de la plasticité, souvent dans des conditions d’hétérogénéité environnementale.

Notre GDR utilise une grande variété d’organismes pour disséquer les réseaux de gènes régulateurs médiant l’effet de l’environnement sur le développement et sur les phénotypes résultants. Certains d’entre nous étudient des organismes modèles tels que Arabidopsis thaliana, Drosophila melanogaster ou Caenorhabiditis elegans en utilisant les outils génétiques disponibles chez ces espèces, tandis que d’autres utilisent des espèces choisies pour leur écologie particulière ou leur intérêt économique (plantes cultivées, insectes ravageurs). En particulier nous analysons comment les conditions environnementales modulent l’expression des génomes (transcriptome), l’épigénome ou des processus développementaux particuliers. En outre nous cherchons à caractériser les bases génétiques de la variation naturelle pour le degré de plasticité.

2 – Aspects temporels et trans-générationnels des réponses plastiques
Emilien Luquet et Thomas Tully

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Etudier la dynamique temporelle de la plasticité phénotypique aux échelles intra- et trans-générationnelles est nécessaire pour mieux comprendre l’importance de cette plasticité dans les processus d’adaptation à la variation environnementale. D’un point de vue théorique, ces aspects sont en effet encore très peu considérés et les modèles permettant de fournir des prédictions testables restent rares. D’un point de vue empirique, la prise en compte de la dimension temporelle dans le processus de plasticité phénotypique peut s’avérer très complexe à la fois en terme de protocoles expérimentaux (e.g. générations multiples, éliminer les effets intergénérationnels en jardin commun) et d’analyse et d’interprétation des données récoltées (particulièrement lorsque plusieurs facteurs environnementaux sont considérés). L’axe « Aspects temporels et trans-générationnels » du GDR PlasPhen vise à intégrer tous ces questionnements d’actualité, avec pour objectif d’offrir aux scientifiques français la possibilité de mettre en place une réflexion globale sur les apports théoriques de cette nouvelle dimension, d’identifier les obstacles théoriques et expérimentaux à franchir et de participer à produire une recherche concertée sur la plasticité phénotypique et son importance dans les processus adaptatifs. Se posent alors un certain nombre de questions, qui vont guider nos travaux et réflexions.
  • Délai de réponse et décalage phénotypique

L’ajustement phénotypique d’un organisme qui subit des changements environnementaux au cours de sa vie n’est généralement pas instantané. En fonction des vitesses relatives des changements environnementaux et des adaptations phénotypiques, il peut arriver qu’un décalage phénotypique persiste entre le phénotype exprimé à un moment donné et le phénotype maximisant la valeur sélective dans cet environnement (Gabriel et al. 2005).

Quelle est l’importance de ce décalage phénotypique dans les populations ? Quelles sont les conséquences démographiques, écologiques et évolutives de ce type de décalage ?

  •  Carry-over effects

On parle de carry-over effect lorsque les réponses phénotypiques d’un organisme à un stade tardif sont contraintes par ses expériences passées, particulièrement les conditions environnementales rencontrées lors de stades de vie plus précoces (e.g. Segers & Taborsky 2012 ; Taborsky 2006).

Quelle est la nature et l’importance écologique et évolutive de ces contraintes passées ?

  •  Plasticité transgénérationnelle

Les réponses phénotypiques peuvent aussi être contraintes ou contrôlées par des effets pouvant s’étendre sur plusieurs générations (e.g. Remy 2010) et même interagir entre générations (e.g. Luquet & Tariel 2016). On parle de plasticité trans-générationnelle : le phénotype est déterminé (partiellement) par l’environnement des parents, ou même des générations encore antérieures (Donelson et al. 2017). Les environnements subis par les générations antérieures peuvent aussi modifier la forme des normes de réaction aux environnements actuels (plasticité trans-générationnelle de la plasticité phénotypique ; Luquet & Tariel 2016).

Quelles sont les caractéristiques (e.g. stabilité au cours des générations, période d’induction) et les mécanismes (hérédité non-génétique), l’importance et les rôles évolutifs de ces effets trans-générationnels, à ce jour rarement décrits et mal compris (Bierne & Ainouche 2017) ?

  •  Sénescence de plasticité

La flexibilité phénotypique, si elle est adaptative, pourrait, selon les théories évolutionnaires du vieillissement, subir comme les autres traits d’histoire de vie de la sénescence (Bowler & Terblanche 2008, Mallard 2013, Tully & Lambert 2011).

Quels sont les effets de l’âge sur la flexibilité phénotype ? La flexibilité phénotypique adaptative peut-elle subir elle-même de la sénescence comme n’importe quel trait d’histoire de vie ? 

3 – Ecologie de la plasticité dans les populations naturelles
Céline Teplisky et Pierre de Villemereuil

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Lorsqu’elle est adaptative, la plasticité phénotypique est un mécanisme permettant aux individus de maximiser leur valeur sélective à travers des environnements variables (Van Tienderen 1991). La définition de l’environnement, si elle apparait simple en théorie, est beaucoup plus difficile à aborder lorsque l’on s’intéresse aux populations naturelles car leur écologie est par essence complexe.  Notre compréhension de l’expression et de l’évolution de la plasticité dépend de l’impact de ces environnements complexes et variables aussi bien dans l’espace que dans le temps. Par exemple, la théorie prédit des patrons contre-intuitifs dans l’expression de la plasticité lorsque plusieurs variables environnementales sont combinées (Chevin and Lande 2015). Il apparaît donc important  de caractériser non plus les réponses à un ou deux facteurs de l’environnement mais les normes de réaction multidimensionnelles (Westneat et al. 2009) et d’évaluer l’impact des conditions environnementales sur les trajectoires individuelles (i.e. plasticité de la plasticité) et populationnelles. Ainsi, trois enjeux majeurs émergent.
  •  Causes écologiques de la sélection sur la plasticité

Beaucoup d’études théoriques ont été menées sur les conditions favorisant la plasticité phénotypique (Moran 1992, Alpert and Simms 2002, Sultan and Spencer 2002). Cependant, il reste très difficile, sur le terrain, d’identifier les agents sélectifs à l’origine de la plasticité phénotypique. En particulier, outre l’identification des paramètres environnementaux pertinents, se pose la question de savoir comment mesurer ou estimer de manière simple leur variabilité à différentes échelles spatiales et temporelles, pour la mettre en relation avec la variabilité naturelle de la plasticité phénotypique. Cette identification des paramètres environnementaux pertinents est d’autant plus critique qu’elle pourrait permettre d’affiner les prédictions de réponse des populations naturelles aux changements globaux.

Par ailleurs, bien qu’une attention particulière ait été portée ces dernières années sur la relation entre variation climatique et plasticité phénotypique, le nombre d’études portant sur les relations entre variations biotiques (compétition, pathogénicité, mutualisme) et plasticité phénotypique reste limité.

Décrire de manière précise (autant faire que se peut) la complexité de l’environnement auquel est confrontée une espèce permettrait de fournir des valeurs de paramètres à des modèles théoriques (encore trop peu nombreux, Chevin and Lande 2015) s’intéressant aux effets concomitants d’agents de sélection fluctuant à des échelles temporelles ou spatiales différentes sur l’évolution de la plasticité.

  • Analyse de la variation génétique de la plasticité phénotypique multidimensionnelle

Afin de tenir compte du potentiel évolutif de la plasticité phénotypique dans la réponse aux changements globaux, il est nécessaire d’évaluer la variabilité génétique des normes de réaction. De nombreuses études ont mis en évidence une variation des normes de réactions entre populations (Westneat et al. 2009, Nunes et al. 2014) et entre génotypes au sein d’une même population (Schmitt et al. 1992; Dorn et al. 2000; Donohue et al. 2001; Agrawal et al. 2002; Donohue 2002; van Kleunen and Fischer 2001). Bien qu’informatives, la majorité de ces études ont porté sur l’effet d’un seul paramètre environnemental sur la réponse phénotypique de différentes populations ou différents génotypes. Cependant, comme décrit précédemment, les individus sont soumis de manière séquentielle et/ou simultanée à de nombreux facteurs écologiques au cours de leur cycle de vie. Il apparaît donc important d’étudier la variation génétique des normes de réaction dans des milieux écologiquement plus complexes. De telles études peuvent être basées (i) soit sur des transplantations réciproques multiples avec une caractérisation fine des paramètres abiotiques (i.e. climat, sol…) et biotiques (i.e. microbiote…), (ii) soit sur des approches de génétique quantitative en populations naturelles, en utilisant les relations d’apparentement (via des pedigrees ou la génomique) entre les individus phénotypés ainsi que de leur environnement proximal abiotique et biotique. 

  • Dynamiques éco-évolutives au sein des communautés

La plasticité adaptative permet aux populations de répondre à la variabilité de l’environnement et, par extension, la plasticité a été présentée comme un mécanisme majeur de réponse favorisant la persistance des espèces face aux changements globaux (Parmesan 2006, Vedder et al. 2013). Cependant, le rôle de la plasticité de certains traits dans la dynamique des populations a été récemment remis en question, car dépendant de la sensibilité de la dynamique des populations au paramètre (survie, fécondité) affecté (McLean et al. 2016). Il est donc crucial de déterminer quels traits d’histoire de vie et caractéristiques écologiques modulent l’importance de la plasticité phénotypique. De même, on peut se demander quel type de dynamique des populations est susceptible d’être le plus affectée par la plasticité. Par exemple, la plasticité phénotypique peut ne pas affecter la dynamique des populations lorsqu’elle permet un meilleur succès reproducteur, mais qu’un mauvais succès reproducteur peut être compensé par une moindre compétition entre jeunes (Reed et al. 2013). Ce genre de mécanisme est plus probable en situation de densité dépendance, et on peut se demander si le rôle de la plasticité est différent dans les petites populations en expansion ou en déclin par rapport à des populations plus larges.

Les changements globaux entrainent des modifications de nombreux facteurs abiotiques (température, humidité) et biotiques (arrivée d’espèces invasives, de nouveaux pathogènes). Certains de ces facteurs ont déjà été expérimentés au cours de l’histoire des populations (e.g. climat), mais d’autres sont entièrement nouveaux (e.g. réponse aux xénobiotiques). Dans un contexte écologique réaliste, il sera donc important d’évaluer (1) comment l’inclusion d’une plasticité multidimensionnelle peut permettre de mieux comprendre le rôle de la plasticité dans la dynamique des populations, mais aussi (2) le rôle des interactions entre espèces qui peuvent répondre différemment aux changements globaux (e.g. Both et al. 2009). Par exemple, comment l’évolution de la plasticité chez une espèce va modifier la dynamique des populations d’une autre espèce et/ou l’évolution de la plasticité de cette autre espèce ?

4 – Plasticité phénotypique et évolution: approches théoriques et expérimentales
Patricia Gibert et Tom Van Dooren

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Au cours des deux dernières décennies, la plasticité est devenue un concept central de la théorie évolutive : de nombreux travaux, théoriques et expérimentaux, ont montré non seulement que la plasticité peut elle-même être soumise à sélection et évoluer (e.g. Scheiner 1993, Via et al. 1995); mais surtout qu’elle peut être un facteur important dans l’adaptation à des conditions changeantes, et qu’elle peut favoriser – voire amorcer – la divergence et la diversification évolutive (e.g. West-Eberhard 2005, Pfennig et al. 2010). Plusieurs questions d’intérêt émergent sur ces thématiques. 
  • Adaptation, maladaptation

Ghalambor et al. (2007) proposent deux voies pour tester le rôle de la plasticité dans l’adaptation : (1) une approche d’évolution expérimentale, comparant la plasticité et la divergence entre populations en environnements expérimentalement manipulés ; (2) une approche comparative, contrastant les patrons de plasticité entre populations ancestrales et populations dérivées. Dans chacun de ces cas, une modélisation complémentaire devra déterminer quels phénotypes seront les plus adaptatifs.

Par ailleurs, la plasticité phénotypique est liée aux indicateurs que les individus utilisent afin de prédire l’état de leur environnement. Des indicateurs fiables pourront donner lieu à l’évolution de stratégies plastiques prédictives, alors que des indicateurs peu fiables favoriseront une expression aléatoire de différents phénotypes (bet-hedging diversifié). L’utilisation conjointe de plusieurs indicateurs n’est pas bien intégrée dans la théorie actuelle et une étude récente (Chevin & Lande 2015) montre que des conflits génétiques sur l’expression de la plasticité existent. De plus, il est avéré que les changements climatiques impliquent des modifications non seulement de la moyenne des environnements, mais aussi de leur covariance, et donc de leur prédictibilité. L’adaptation des systèmes complexes dans des environnements changeants en prédictibilité, où le risque de maladaptation parait élevé, est encore mal compris. Enfin, la façon dont les organismes perçoivent la fréquence et la prédictibilité des changements environnementaux dépend fortement de leur histoire de vie (voir axe 2).

  • Réponses aux changements environnementaux

Quand la plasticité phénotypique affecte des caractères liés à des paramètres démographiques tels que la survie et la fécondité, elle devient un mécanisme central par lequel l’environnement influence la croissance des populations. Le consensus pour l’instant est que la plasticité phénotypique est une composante majeure des réponses immédiates aux changements environnementaux. Ainsi, la plasticité phénotypique et ses effets pourront être déterminants pour la persistance sur le court terme d’une population face à un stress environnemental (Chevin et al. 2010). La plasticité actuelle résulte de l’historique des environnements, des réponses évolutives, des contraintes et des coûts, face aux environnements actuels. Pour faire des prédictions sur les réponses des organismes, il nous faudra étudier des modèles dédiés et adaptés à la biologie des organismes et les interactions entre populations et environnements.

  • Effets des mécanismes sous-jacents

La variation génétique de la plasticité phénotypique peut impliquer divers mécanismes génétiques et moléculaires, tels qu’une expression différentielle de gènes, une sensibilité variable des allèles à l’environnement, un changement des interactions entre protéines, ou encore une méthylation de l’ADN induite par l’environnement (Beldade et al. 2011). Le mécanisme causal de la plasticité phénotypique et son architecture génétique peuvent avoir des conséquences pour son fonctionnement, son hérédité, et son évolution.

  • Orientation des trajectoires évolutives et diversification

L’idée que la plasticité phénotypique peut orienter les trajectoires évolutives et influencer la diversification entre espèce et/ou la spéciation, est mise en avant depuis quelques années (West-Eberhard 2003, 2005, Pfennig et al 2010). Notamment, la « flexible stem hypothesis », selon laquelle des espèces plastiques seraient plus susceptible de donner lieu à une diversification génétique en écotypes, voire à des radiations adaptatives, semble soutenue par certaines études empiriques récentes (Wund et al 2008, Gibert 2017). Cependant, beaucoup d’aspects des liens entre plasticité et diversification restent à comprendre, notamment au niveau théorique, et en incluant une contribution possible de l’évolution de la plasticité.

  • Coûts de la Plasticité

Enfin, une question importante dans ce survol (non exhaustif) des voies de recherches à consolider, est celle des coûts et limites de la plasticité (DeWitt et al. 1998). Les études empiriques sur les coûts de la plasticité phénotypique sont rares et les résultats contrastés (Auld et al. 2010).  La modélisation des coûts nécessite des extensions de modèles prenant en compte les budgets énergétiques (Kooijman 2010) ou des approches permettant d’analyser et structurer des réponses multivariées avec des contraintes. Les études sur les coûts de la plasticité phénotypique constituent donc un domaine encore peu exploré à la fois au niveau théorique et empirique.

5 – Les enjeux du concept de plasticité : Une vue depuis les SHS
Laurent LOISON

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L’essor de l’épigénétique – entendue au sens large – depuis le début des années 2000 a fait suite à une période où la biologie avait été largement dominée par une conception géno-centrée et déterministe des phénomènes vitaux. Cette orientation « tout génétique » était à l’œuvre aussi bien dans le champ de la biologie fonctionnelle (celle des « causes prochaines », Mayr 1961), que dans le domaine de la biologie de l’évolution (celle des « causes ultimes »). Ainsi, l’organisme, dans son développement comme dans son fonctionnement, était rigidement compris comme déterminé par son programme génétique (Fox Keller 2000). Il s’agissait d’établir aussi rigoureusement que possible les cascades réactionnelles qui, ancrées dans le génome, finissaient par produire et réguler les caractères phénotypiques. A l’échelle de l’évolution, les gènes étaient vus comme les unités privilégiées sinon exclusives sur lesquelles opère la sélection. L’évolution, ultimement, n’était que le changement de fréquence des allèles au sein des populations, selon la formulation célèbre de Theodozius Dobzhansky (1937). Cette conception culmina avec l’œuvre de Richard Dawkins, qui fit des gènes les « réplicateurs » par excellence et des organismes de simples « véhicules » entièrement pilotés par ceux-ci (Dawkins 1976, 1982).

        Depuis une vingtaine d’années et l’épuisement relatif du crédo génétique, l’organisme a fait son retour en tant que niveau hiérarchique non trivial des explications biologiques. Le regain d’intérêt pour le concept de plasticité phénotypique doit se comprendre au sein de ce mouvement plus ample, qui touche toutes les branches des sciences du vivant. L’ambition de cet axe exploratoire est d’éclairer la manière dont ce concept renouvelle, ou pourrait renouveler, d’anciennes questions.

        Par exemple, le débat si marqué idéologiquement de l’inné et de l’acquis (nature/nurture) dans les populations humaines pourrait être repensé dans les termes de la plasticité phénotypique. Les questions susceptibles d’être reformulées ici sont nombreuses: celle des déterminismes des comportements (instincts ?), des caractères dimorphiques sexuellement (comme la taille), des limites physiologiques propres à Homo sapiens (atteintes ou non ?), etc. Le concept de plasticité phénotypique offre en particulier la possibilité de dépasser l’opposition directe entre l’inné et l’acquis, le génétique et l’environnemental. En effet, ce concept montre la difficulté de poser de cette manière les termes du débat car la propriété d’être plastique est elle-même, dans une large part, un produit de l’évolution. En tant que tel, la plasticité est donc aussi sous le contrôle des gènes.

Le débat inné/acquis pourrait aussi être revisité à la lumière des connaissances actuelles sur les changements épigénétiques, changements qui à leur tour peuvent sous-tendre les phénomènes de plasticité phénotypique. En effet, ces changements sont souvent interprétés comme une sorte d’interface entre l’environnement et le génome, plus précisément, entre les changements environnementaux et ceux, correspondant, des profils d’expression génique. L’environnement se révélant être une source inductrice de modifications épigénétiques, la contribution de l’ « acquis » à la variation phénotypique d’une population semble prendre de l’ampleur. Cette affirmation nécessite cependant une réflexion approfondie sur la manière dont cela est présenté et pris en compte. Les changements environnementaux qui induisent des changements épigénétiques sont traduits, réduits, incorporés ou encore enregistrés sous la forme de changements moléculaires héritables. Autrement dit, l’acquis qui compte et contribue à la variation phénotypique est celui qui est internalisé et transformé en quelque chose d’inné : en utilisant une formule de Matt Ridley, c’est  « l’acquis via l’inné » (Ridley 2003).

        La plasticité phénotypique redonne par la même un contenu plus riche et plus complexe au concept de « milieu », qui n’est plus simplement un environnement extérieur et sélectif mais également le lieu d’une interaction polarisée entre un organisme individuel et l’ensemble des stimuli qui, pour lui, font sens. La catégorie de milieu, réduite à sa composante compétitive au sein du schème darwinien, nécessite d’être repensée et approfondie en tant que terme d’une relation. C’est exactement cette direction que prend aujourd’hui l’ensemble des travaux relatifs à la « construction de niche » (Odling-Smee et al. 2013), phénomène probablement particulièrement puissant dans l’évolution humaine. Le milieu est autant construit qu’il est subi, et, en retour, cela transforme non seulement les pressions de sélection qui s’appliquent à l’organisme, mais également l’organisme lui-même dès lors qu’il est doué de plasticité. Des espèces comme l’homme modifient donc à double titre leur évolution : en adaptant leur milieu à leurs besoins puis en s’adaptant – d’abord plastiquement – à ce milieu collectivement construit.

        Enfin, la plasticité a été aussi, à l’échelle de l’histoire des sciences, l’aiguillon qui a toujours contrarié le géno-centrisme de la théorie darwinienne de l’évolution, et en particulier de la Théorie synthétique. Ce concept est central dans la remise en cause actuel de la Théorie synthétique et dans la promotion d’une Théorie « étendue » (Pigliucci 2010). Il l’était déjà au milieu du XXe siècle – au moment de l’essor de la Théorie synthétique – chez des biologistes comme Ivan Schmalhausen et Conrad Waddington. En remontant jusqu’à la fin du XIXe siècle, on le retrouve en bonne place chez les premiers théoriciens de l’effet Baldwin. Il s’agira ici de comprendre, dans la longue durée, comment le concept de plasticité (et plus tard celui de canalisation) a trouvé – ou non – une place au sein d’une science darwinienne qui s’affirmait de plus en plus.

        Cet axe de recherche, à la croisée des sciences humaines (histoire, philosophie, ethnologie, anthropologie) et de la biologie a ainsi pour objectif de revisiter certaines questions selon une perspective interdisciplinaire à même d’engendrer de nouvelles collaborations entre chercheurs issus d’horizons différents.